Carmina Burana - Instruments anciens (4,25/5)

Carmina Gulatorum et Potatorum (Chansons à boire et à manger)

01Bacche, bene venies (CB 200)Anonyme****
02Virent prata hiemata (CB 151)Anonyme*****
03Nomen a solempnibus (CB 52)Anonyme****
04Alte clamat Epicurus (CB 211) – Nu lebe ich (CB 211a)Anonyme*****
05Vite perdite II (CB 31)Anonyme*****
06Vacillantis trutine (CB 108) Anonyme*****
07In taberna quando sumus (CB 196)  Anonyme****

Carmina Lusorum (Messe des joueurs)

Officium lusorum (CB 215 et 215a)

08 Introitus : Lugeamus omnes in DecioAnonyme****
09Epistola Lectio actuum apopholorumAnonyme****
10Sequentia : Victime novaliAnonyme****
11Evangelium :   Sequentia falsi evangeliiAnonyme****
12Oratio : Ornemus !Anonyme****

Carmina moralia et divina (Chansons morales et chants sacrés)

13Dic, Christi veritas – Bulla fulminante (CB 131 et 131a)Anonyme****
14Licet eger II (CB 8)Anonyme****
15Si vocatus ad nupcias I (CB 26,3)Anonyme****
16 Nomen a solempnibus II (CB 52)Anonyme****
17Fas et nefas ambulant (CB 19) Anonyme****
18Flete flenda (CB 5)Anonyme****
19Homo qui vigeas (CB 22)Anonyme*****
20Procurans odium II (CB 12)Anonyme****
21Crucifigat omnes (CB 47) Anonyme****

Carmina Moralia (Chansons morales)

01 Deduc, Syon, uberrimas (CB 34)Anonyme*****
02Ecce, torpet probitas (CB 3) Anonyme****
03In terra sumus rex (CB 11)Anonyme****

Carmina Veris et Amoris (Chansons de printemps et d’amour)

04Tempus transit gelidum (CB 153) Anonyme****
05Bacche, bene venies II (CB 200)Anonyme*****
06 Licet eger (CB 8)Anonyme****
07In Geodonis ara (CB 37)Anonyme*****
08Exiit diluculo rustica puella (CB 90) Anonyme****
09Clauso Chronos (CB 73) Anonyme*****
10Olim sudor Herculis (CB 63)  Anonyme****
11Virent prata hiemata (CB 151 et 151a)Anonyme****
12Veris dulcis in tempore I (CB 159)Anonyme****
13Vacillantis trutine II (CB 108)Anonyme*****
14
Michi confer, venditor I (CB 16*)
Anonyme****
15
Veris dulcis in tempore II (CB 159)
Anonyme****

Carmina Divina (Chants sacrés)

01Ave nobilis venerabilis Maria (CB 11*) Anonyme*****
02Fulget dies celebries (CB 153)Anonyme****

Plaintes mariales du  jeu de la passion (CB 16*)

03Ave, domina mundi (CB 18*)Anonyme****
04Ave Maria, gratia plena (CB 15*)Anonyme****
05Deus, in nomine tuo (CB 15*) Anonyme****
06Ludus de Passione (CB 16*)Anonyme****
07Regali ex progenie Maria (CB 18*)Anonyme****
08Sanctissima et gloriosissima (CB 18*) Anonyme****

Carmina Amoris Infelicis (Chansons de l’amour malheureux)

09Iste mundus furibundus (CB 24)Anonyme****
10Axe Phebus aureo (CB 71)Anonyme****
11Dulce solum natalis patrie (CB 119)  Anonyme*****
12Procurans odium (CB 12)Anonyme****
13 Vite perdite I (CB 31)Anonyme*****
14Sic mea fata canendo solo (CB 116)Anonyme****
15Ich was ein chint so wolgetan (CB 185)Anonyme****

 

            Le manuscrit original des Carmina Burana parvint en 1803, dans le cadre de la sécularisation des couvents de Bavière, à la « Bibliothèque Centrale Royale de la Cour » à Munich. Le premier éditeur de ces manuscrits, le bibliothécaire J.A. Schmeller, leur donna ce nom de Carmina Burna (Poèmes de Benediktbeuren) parce que l’ensemble avait été découvert dans le couvent bavarois de ce nom. Ce n’est cependant certainement pas là que le manuscrit fut rédigé. Les plus récentes recherches en établissent la rédaction dès avant le milieu du XIIIe siècle dans le Tyrol, voire même plus vraisemblablement encore en Carynthie (à Maria Saal?).

            Ce manuscrit représente une vaste et imposante collection de pièces lyriques internationales, principalement latines, du XIe siècle tardif au XIIIe siècle. La découverte de documents parallèles permet d’en situer à présent le pays d’origine : Occitanie (entre autres les manuscrits de St-Martial de Limoges, début du XIIe), France, Angleterre, Ecosse (St-Andrews), Suisse (chartreuse de Bâle), Catalogne (Barcelone, Las Huelgas), Castille (Tolède), Allemagne (cloître de Weingarten entre autres). Au milieu de nombreux anonymes surgissent les noms de poètes comme le célèbre Archipoete de Cologne, Hugues d’Orléans, et l’archevêque de Cantorbéry, Stephen Langton (mort en 1228). La plupart de ces poèmes est profane, pourtant les pièces sacrées – un Jeu de Pâques, un Jeu de Noël, des hymnes, etc. – y sont d’une pénétrante beauté. A l’exception de quelques textes en moyen haut-allemand et en français, c’est la langue internationale des clercs, le latin, qui y est utilisée. Une partie de ces textes peut être décrite comme de la poésie de vagants ou de goliards. Ces notions sont ici toutefois assez floues. On peut appeler vagants tous les clercs et escholiers qui allaient de ville en ville et qui souvent devenaient sédentaires après des années d’errance. Les goliards devaient leur surnom soit à Goliath, pris longtemps pour le type du vice, soit de « gula », mot latin pour gourmandise. Il semble qu’ils aient tous été des clercs en rupture de ban : l’instabilité s’alliait chez eux à une existence marginale : beuveries, ripailles, jeux, oisiveté, prostitution. A côté de chansons satiriques qui critiquent leur époque avec violence ou émotion, on rencontre dans les Carmina Burana de gracieux chants d’amour, des chants sur le printemps, d’autres pleins d’intériorité, à côté de chants quasiment immoraux, chants de gueule dépourvus de mesure. La parodie se sert volontiers d’associations religieuses parce qu’alors Dieu était tout simplement présent partout, qu’on ne pouvait véritablement pas l’éviter. Ainsi la chanson paillarde « Alte clamat Epicurus » parodie le célèbre chant de croisés de Walther von der Vogelweide.

            Une partie des poèmes dans les manuscrits des Carmina Burana est dotée de mélodies, notées par au moins six copistes différents en neumes sans ligne de portée. Par les documents parallèles on a pu regagner une partie de ces airs. A l’origine, la plus grande part en était vraisemblablement chantée. Tous les airs des Carmina Burana accessibles aujourd’hui sont d’une force vitale, d’une beauté stupéfiantes. A côté de mélodies simples, populaires, on rencontre des compositions très raffinées, à l’élan tout artistique. Le grégorien, la séquence, l’art populaire, l’art des troubadours, des Trouvères et Minnesänger s’y côtoient de façon multicolore ou s’y influencent réciproquement. La rédaction des textes poétiques que j’ai choisi correspond très exactement au texte original des Carmina Burana. Il ne s’agissait pas pour moi de restituer une version idéale mais au contraire, tout simplement, de redonner le verbe tel qu’il a été retenu par les copistes du manuscrit des Carmina Burana.

            Nous avons essayé de souligner l’internationalité de ces chants par des pratiques d’interprétation diversifiées – par exemple : influence arabe nulle, moyenne ou dominante, etc. – ainsi que par le maintien d’habitudes ou de maniérismes d’expression particulière – d’où par exemple la prononciation du latin à la façon italienne, française, espagnole ou allemande, etc.

            Consciemment, il arriva que plusieurs versions d’une même pièce soient présentées. De même que chaque pièce dotée d’un texte pouvait dès l’origine être interprétée comme pièce purement instrumentale – avec éventuellement prélude ou interludes.

                                                                                            René Clemencic, carton original Cd.

            Bien que l’on associe habituellement aujourd’hui le titre Carmina Burana (« chants de Beuren ») à l’oratorio scénique de Carl Orff (1895-1982), Johann Andreas Schmeller l’avait déjà attribué au recueil de chansons du XIIe siècle, en latin et en allemand, qu’il avait édité en 1847. Orff fit usage, pour son oratorio, de vers tirés de cet ensemble.

            Il s’agit de poèmes profanes assez crus, d’un millier de vers environ, découverts dans un monastère bénédictin du sud de l’Allemagne – vraisemblablement écrits par des goliards (étudiants et clercs itinérants).

            On retrouve dans certains de ces éléments une forme ancienne de notation sans portée baptisée « neume » – c’était un signe de notation musicale très archaïque déjà à l’époque où ces chants furent copiés. Les CD actuellement disponibles doivent beaucoup aux efforts des spécialistes contemporains qui se sont aidés de copies de certaines œuvres, découvertes à Limoges et Notre-Dame de Paris, qui date environ de la même époque mais dont la notation est plus claire.

            L’enregistrement qu’a réalisé René Clemencic se distingue par sa rigueur académique – de fait, on doit à ce chef d’orchestre la première édition musicale complète des Carmina Burana, parue en 1979. La diversité de style des interprétations de l’album (depuis l’intensité charnelle de Bache, bene venies ou la mélopée envoûtante d’Homo quo vigeas vide jusqu’au lyrisme doux et étonnamment nostalgique de Clauso Chronos), correspond non seulement à la multiplicité de sujets abordés mais paraît aussi restituer en partie  l’environnement sonore réel de ces chants évocateurs d’un passé nébuleux.

                                Naomi Matsumoto, Les 1001 œuvres classiques qu’il faut avoir écoutées dans sa vie.