Allegri – Miserere, Palestrina – Missa Papae Marcelli, Mundy – Vox Patris Caelestis

Allegri – Miserere, Palestrina – Missa Papae Marcelli, Mundy – Vox Patris Caelestis (4,85/5)

 

 

            Le Miserere d’Allegri et la Missa Papae Marcelli de Palestrina sont universellement reconnus comme étant parmi les plus beaux morceaux musicaux de l’Age d’Or ; ils sont probablement plus joués dans le monde que tout autre morceau de musique sacrée non accompagnée. Nous présentons Vox Patris caelestis de William Mundy afin d’établir la réputation d’un chef-d’œuvre et d’un compositeur anglais. Il se trouve que Mundy écrivit Vox Patris caelestis presque exactement la même année que Palestrina écrivit sa Missa Papae Marcelli et en les présentant ensemble, nous pouvons percevoir la diversité extraordinaire dans la musique sacrée qui existait à l’époque entre l’Angleterre et le reste de l’Europe.

            Le Miserere d’Allegri est de conception très simple et une grande partie de son effet repose sur les conditions de son exécution, et notamment des conditions acoustiques. Les Tallis Scholars ont utilisé un bâtiment d’excellente résonance – Merton College Chapel à Oxford – et placé les solistes à une certaine distance du reste du chœur. La composition musicale est en cinq sections qui sont identiques sauf en ce qui concerne la deuxième moitié du verset final, pour lequel les solistes et le chœur principal chantent enfin en chorus des deux côtés opposés de la chapelle. Allegri crée l’effet musical par l’emploi de dissonances (causées par une série de suspensions) et par des fioritures sur une ligne vocale simple qui est portée par le soprano jusqu’à un ut aigu. Le texte est l’ensemble du psaume 51, peut-être le plus pénitentiel de tous les psaumes, qui est traditionnellement chanté le Mercredi des Cendres.

            L’histoire de cette œuvre est pittoresque : la papauté, se rendant compte qu’elle possédait un ouvrage d’attrait exceptionnel, augmenta encore avec finesse la réputation de celle-ci en refusant d’en laisser toute copie sortir de la chapelle Sixtine. Cette interdiction était accompagnée de la menace de graves sanctions. Selon certains commentateurs, ce monopole ne cessa que lorsque Mozart l’entendit et le transcrit ensuite de mémoire. Quoi qu’il en soit, il y avait plusieurs copies en circulation en Europe au milieu du 18ème siècle et leur nombre a beaucoup augmenté depuis, quoi qu’il n’y ait jamais eu autant de versions différentes de ce qui est supposé être le même morceau.

            Une histoire tout aussi pittoresque, quoique moins bien fondée sur des faits, est associée à la Missa Papae Marcelli de Palestrina. A la suite du choc que leur avait donné la Réforme, les cardinaux catholiques décidèrent, entre autres, que la musique d’église était devenue trop ennuyeuse et que les paroles étaient inaudibles. Ils étaient sur le point de proscrire toute polyphonie et peut-être de retourner à l’exécution exclusive du plain-chant lorsque Palestrina composa cette messe, prouvant ainsi qu’il n’était pas nécessaire que la bonne musique traîne en longueur et que les paroles soient inintelligibles. Il fut considéré que Palestrina avait ‘sauvé la musique d’église’. En fait, de nombreuses compositions dans ce style plus syllabique ont dû prouver ce point aux cardinaux mais si cette œuvre a obtenu la prééminence, c’est en raison de sa qualité. Elle fut probablement composée en 1556 et dédiée à la mémoire du pape Marcel II qui  ne régna que pendant trois semaines en 1555.

            Il y a cinq mouvements – la répétition de l’Hosanna faisant musicalement du Benedictus une partie du Sanctus. La richesse de l’écriture de Palestrina provient de son emploi prédominant du bas registre vocal – deux ténors et deux basses avec un contre-ténor et un soprano. Dans l’Agnus Dei II, qui prend la forme d’un canon de la première basse (voix principale) avec le second alto et le second soprano, la partie du choeur est totalement réécrite pour deux sopranos, deux contre-ténors, un ténor et deux basses.

            Vox Patris caelestis fut écrit durant le règne de la reine Marie (1553-1558) et est donc exactement contemporain de la Missa Papae Marcelli. Il peut être daté avec une telle précision parce qu’il est composé dans un style qui était inacceptable pour les monarques tudors protestants – Edouard VI et Elisabeth I – et Mundy était trop jeune pour l’avoir écrit durant  le règne de Henri VIII. Le style musical catholique que Marie encourageait était très différent de l’idéal du pape dans les années 1550 : Mundy composait sur une échelle énorme et pour lui l’intelligibilité des paroles était d’importance secondaire à côté du libre développement des mélodies, quoiqu’il fût évidemment sensible aux connotations sensuelles de ce texte ; par exemple, les répétitions du mot Veni, qui est adapté du Chant de Salomon.

            La structure sous-jacente de la musique est de la plus grande importance pour son effet et c’est la raison pour laquelle nous donnons les paroles présentées dans leurs parties respectives. Les solistes arrivent graduellement aux trois chorus, dont le dernier est l’apogée sur les mots Veni, veni, caelesti gloria coronaberis, Amen. Pour amener de façon encore plus puissante ce dernier chorus, les sections musicales pour solistes augmentent encore d’intensité, le dernier d’entre eux utilisant l’arrangement le plus spectaculaire disponible pour les voix : deux sopranos, deux altos, deux basses. La sonorité du morceau provient en partie de l’emploi par Mundy d’une voix de garçon supplémentaire. Les compositeurs tudors reconnaissaient donc que les garçons pouvaient, tout comme les hommes, posséder des tonalités naturelles différentes – distinction dont ne tiennent pas compte les chœurs modernes des cathédrales anglaises – et ils ont certainement mis en valeur la richesse de sons qui en résultait.

                                                                                                                      Peter Phillips, carton original CD.

 

 

01 Miserere Gregorio Allegri *****
02 Vox Patris caelestis William Mundy    *****

 

Vox Patris caelestis ad sacram virginem                                 La voix du Père des Cieux à la Sainte Vierge

Mariam, filii cius genitricem, in cius migratione                      Marie, Mère de son Fils, alors qu’elle sortait de

a corpore mortali in hiis verbis prorumpens ;                          sa dépouille mortelle, fit retentir ces mots : ‘Tu

tota pulchra es, amica mea, mihi amabilissima.                      Es toute belle, mon amour, enfant très chérie

Annae prolis virgo sacratissima Maria, et                                 d’Anne, Marie, Vierge très sainte, et depuis le

macula ab ineunte conceptionis tuae insatanti                       moment de la conception, jamais une tache ou

vel usquam non est in te.                                                             Une souillure n’a été trouvée sur toi.

 

Favus distillans labia tua ex corde purissimo                          Tes lèvres sont comme un rayon de miel, distillant de ton

verba mira dulcedenis spiritualis gratia, lam                          coeur très pur des mots merveilleux de douceur spirituelle

enim hiems terreni frigaris et miseria transit ;                         Car maintenant l’hiver du froid et de la misère de la

flores aeternae felicitatis et salutis meeum tibi                       terre est fini ; les fleurs éternelles de la félicité et

ab aeterna praeparatae olfacere et sentire                               du salut qui t’attendaient ici avec moi depuis

apparuerunt.                                                                                  Toujours sont écloses, belles et parfumées.

                                                                                                                                                            

Vineae florentes odorem caelestis ambrosianac                     Les vignes fructueuses donnent leur parfum d’ambroisie,

dulcedinis dederunt ; et vox turturis, quae mea tui               d’une douceur céleste, et la voix du tourtereau, qui chante

dilectissimi amatoris sola est exoptatio te amplecti,              le seul désir de ton amant, celui de te tenir dans ses bras,

audita est in terra nostra tali sonnante gratia.                        Fait entendre ses notes gracieuses dans notre pays.

 

Surge propera, amica mea, columba mea,                                Lève-toi et pars vite, ma bien-aimée, ma colombe,

tormosa mea, de terra longinqua miseriis plena,                    ma belle, de cette terre lointaine de douleur

et veni in terram quam monstravero tibi.                                 Et viens dans ce pays que je te montrerai.

 

Veni de corpore mortali, et induante mea corcula                 Sors de ton corps mortel et revêts mon habit d’or,

vestitu deaurato circumdata varietate caelestis gloriae.       Travaillé avec la richesse de la gloire céleste.

 

Veni ad me, dilectissimum amatorem tuum,                           Viens à moi, ton amant le plus cher, car je t’ai aimé plus

prae omnibus adamata, et ponam in the thronum                 que toutes les autres et je te donnerai mon royaume,

meum quia concupivi speciem tuam.                                         Car j’ai longtemps désiré ta beauté.

 

Veni de Libano monte mundano quaquam altissimo             Viens du mont terrestre du Liban, si haut soit-il

humanae contemplationis, ad montem     Sion,                       aux humains qui le contemplent au mont de Sion, où ceux

ubi innocentes manibus et corde ascendere deberent.            qui sont purs d’actes et de coeur doivent toujours monter.

 

 Veni ad me, Assuerum verum, Esther, mea                            Viens, mon Esther, à notre vrai Assuérus, pour

nobilissima, pro populo tuo oratura mecum in                        prier, ma si noble, pour ton peuple et pour y

aeternum manere et delectare.                                                    Demeurer et te réjouir avec moi pour l’étérnité.

 

Te omnes caeli cives summo desiderio exoptant                    Tous les citoyens du ciel désirent ardemment te

videre, Veni, veni, veni caelesti gloria                                      voir. Viens, viens, viens être couronnée de la

coronaberis. Amen.                                                                      Gloire éternelle. Amen.

 

03 Missa Papae Marcelli – Kyrie Giovanni Pierluigi da Palestrina *****
04 Gloria Giovanni Pierluigi da Palestrina  ****
05 Credo Giovanni Pierluigi da Palestrina *****
06  Sanctus & Benedictus  Giovanni Pierluigi da Palestrina *****
07 Agnus Dei I & II  Giovanni Pierluigi da Palestrina *****

 

            Cet ensemble s’est fait une spécialité de Palestrina et dans un coffret de 4 CD, intitulé en toute simplicité The Palestrina Collection, on retrouve cette messe, plus quatre autres (Gimell -400). Il faut bien dire que les Tallis Scholars ne connaissent guère de concurrence et que leur perfection jamais teintée de sécheresse s’accorde on ne peut mieux à ces musiques où les paisibles entrelacs nous guident, sans dévier, là où il faut aller.

                                                                                                                                  Télérama, La discothèque idéale.