Cristobal de Morales – Morales en Toledo

Cristobal de Morales – Morales en Toledo (4,78/5)

 

 

Morales à Tolède (1545-1547)

            Entre tous les compositeurs espagnols du Siècle d’Or, Cristobal de Morales est celui que ses contemporains ont le plus souvent loué et avec le plus d’enthousiasme. Et parmi ceux qui prononcèrent les éloges les plus mémorables, nous pouvons citer Juan Bermudo (1510-1565, dates approximatives) : ce théoricien de la musique doté d’une plume prolifique décréta que Morales méritait, au moins, l’inoubliable titre de « lumière musicale de l’Espagne ». Dans sa Declaracion de instrumentos musicales (1555), publiée moins de deux ans après la mort du compositeur en 1553, Bermudo décernait une mention spéciale à deux œuvres de Morales – récemment découvertes, que nous présentons dans ce disque – en célébrant la maîtrise du compositeur dans l’art du contrepoint. Dans un autre passage de la Declaracion, le théoricien recommande l’étude scrupuleuse des œuvres de Morales en faisant la promesse solennelle que « celui qui s’appliquera à étudier cette musique sera récompensé par l’acquisition de la sagesse, et en deviendra dévot ».

            Dans les dédicaces et les inscriptions en latin de ses livres de messes de 1544, Morales est désigné avec insistance comme hyspalensis, ce qui nous permet de déduire qu’il est né à Séville ; on n’a pas encore déterminé avec précision la date exacte de sa naissance mais on peut, sans risque de se tromper, considérer qu’il est né environ en 1500. On sait d’autre-part qu’il a été ordonné prêtre dans sa ville natale, car une entrée des Actas Capitulares de la cathédrale de Tolède, se référant à l’attribution de sa charge en 1545, le décrit comme « clerc du diocèse de Séville ». Suivant certains documents cités par un érudit, le diplomate Rafael Mitjana – documents qui semblent perdus aujourd’hui – le premier emploi connu de Morales aurait été celui de membre de la chapelle de la cathédrale de Avila, entre 1526 et environ 1529, date à laquelle il est nommé maître de chapelle de la cathédrale de Plasencia. Ces allées et venues aussi rapides que fréquentes, d’une cathédrale à l’autre, sont l’une des caractéristiques de la carrière professionnelle des musiciens espagnols du XVIe et du XVIIe, et donnent une idée de la concurrence féroce qui existait entre les cathédrales, les collégiales et la cour, pour s’attacher les plus grands talents musicaux. Un mouvement, cependant, dans la trajectoire de Morales, échappe à cette caractéristique : en 1533, le compositeur abandonne l’Espagne pour devenir membre de la chapelle papale de Rome.

            On ne sait pas si Morales dit vrai quand il affirme, dans la dédicace de son Missarum liber secundus (Rome, 1544) avoir été choisi pour le chœur papal par le pape Paul III en personne, mais il est par contre tout à fait certain que les musiciens qui chantaient dans la chapelle papale – des compositeurs comme Jacques Arcadelt et Costanzo Festa – jouissaient d’une renommée universelle. En plus de ses collègues contemporains de la chapelle papale, français, flamands ou italiens, Morales a bien pu coïncider, dans ce même ensemble, avec des chanteurs et compositeurs espagnols de la taille de Bartolomé de Escodebo (vers 1500-1563) et Pedro Ordonez (vers 1510-1585). La chapelle papale a non seulement offert à Morales des opportunités aussi magnifiques que celle de chanter pour l’arrivée de Charles Quint à Rome en 1536, mais elle lui a encore permis de voyager à Nice, Lorette, Busseto et Bologne. En plus de leur salaire, les chanteurs du pape avaient droit à certains luxes : serviteur, cheval et, de temps en temps, victuailles provenant des cuisines papales. L’expérience d’une ambiance cosmopolite aussi vivace que la romaine situe le développement musical de Morales dans une catégorie bien différente de celle d’autres polyphonistes espagnols comme Francisco Guerrero, Sebastian de Vivanco, Alonso Lobo et Juan Navarro (pour n’en citer que quelques-uns), dont les carrières professionnelles se sont entièrement déroulées dans la  péninsule ibérique. De fait, ce fut à Rome – de même que dans le cas ultérieur de Tomas Luis de Victoria – où Morales forgea et consolida sa réputation internationale.

            L’année 1544, la dernière année que le compositeur passa entièrement à Rome, eut une importance singulière. C’est en effet durant cette année que le compositeur réunit et publia une grande collection rétrospective comprenant non moins de 16 messes réparties en deux livres imprimés à Rome par Valerio Dorico. Plus de 500 copies de chaque livre furent publiées, ce qui assura une ample diffusion des œuvres. C’est aussi durant cette même année que le compositeur a dû préparer la publication de sa série complète de seize Magnificat dans les huis tons ecclésiastiques ; et c’est un an plus tard, en 1545, que cette série complète a été imprimée à Venise.

            Les années que Morales passa dans la Ville Éternelle ont été marquées par une mauvaise santé avec des crises de plus en plus fréquentes ; cet état a pu induire le compositeur, ayant mené à bien ces deux importants projets de publication, à penser à un retour en Espagne. Il fut encouragé dans cette décision quand, en mars 1545, la cathédrale de Tolède, primatiale d’Espagne, annonça que le poste de maître de chapelle était vacant après le départ de Andrés de Torrentes. L’absence de tout indice indiquant la célébration du concours habituel suggère qu’on a très certainement offert le poste à Morales sans plus de formalités. C’est ainsi qu’il fut nommé maître de chapelle au cours d’une cérémonie célébrée à la cathédrale de Tolède le 1er septembre 1545.

            La splendeur musicale de la cathédrale de Tolède au milieu du XVIe siècle est une évidence : les vrais princes de la Tolède de la Renaissance étaient les archevêques de la ville, des mécènes libéraux et illustrés qui n’avaient encore aucun rival sérieux dans la péninsule ibérique. A l’époque à laquelle le cardinal Juan Tavera était archevêque de la ville, des œuvres importantes avaient été menées à terme dans la cathédrale, comme les chaires du choeur en bois sculpté de Vigarni et Berruguete, la façade intérieure de la Porte des Lions, et le portail de la chapelle de Saint-Jean. Ce fut ainsi durant les dernières années de l’archiépiscopat de Tavera que la cathédrale de Tolède commença une série magnifique de livres de choeur polyphoniques manuscrits et enluminés. Tavera mourut le 1er août 1545 et, durant la plupart de sa carrière de maître de chapelle, Morales eut alors comme patron le successeur de Tavera, Don Juan Martinez Siliceo, nommé archevêque le 8 janvier 1546.

            De fait, le temps que Morales vécut à Tolède fut inopinément bref puisqu’il renonça à son poste le 9 août 1547, c’est-à-dire, 23 mois à peine après son arrivée. Plusieurs hypothèses concernant son prompt départ ont été avancées : des difficultés économiques, la persistance de son mauvais état de santé… Il semblait jusqu’à ce jour que Morales, durant son séjour à Tolède, n’avait produit qu’une petite poignée de compositions nouvelles. Et c’est ici que ma version du retour de Morales en Espagne diffère radicalement de toutes celles des biographes modernes précédents. Mon histoire débute, en 2002, par une invitation du très distingué directeur des archives canoniques de la cathédrale de Tolède, Don Ramon Gonzalvez Ruiz ; j’ai donc été invité à étudier un manuscrit polyphonique qui était jusqu’alors inaccessible et, qui plus est, sérieusement endommagé. Après plusieurs mois de laborieux travail sur ce livre choral, un parchemin connu comme Codex 25, j’ai enfin pu affirmer sans l’ombre d’un doute qu’il contenait 20 œuvres de Morales, dont au moins 14 étaient pratiquement, pour ne pas dire absolument, inconnues. Seize d’entre elles avaient été copiées sous la supervision du compositeur durant les premiers mois de 1546 ; le reste fut copié en 1549, deux ans après son départ de Tolède. Le fait que le manuscrit copié en 1546 porte la signature autographe du compositeur est un événement supplémentaire à célébrer. Etant donné que nous pouvons assigner une date de composition à presque toutes ces œuvres « nouvelles » coïncidant avec le passage de Morales à Tolède, nous nous trouvons dans l’obligation de réviser complètement notre interprétation de la production du maître après son retour en Espagne : si l’opinion générale le présentait en effet comme un compositeur dont la créativité était en déclin, les œuvres que nous venons de récupérer démontrent que, tout au contraire, Morales était en réalité au sommet de son pouvoir de création. Morales commença la composition de nouvelles œuvres pour Tolède dès qu’il fut nommé maître de chapelle, et étant donné que presque toutes les œuvres produites à Tolède peuvent être attribuées à des fêtes spécifiques, nous sommes en mesure, dans la plupart des cas, de déterminer avec exactitude les dates de leur composition et de leur première interprétation. Il est intéressant de signaler que plusieurs de ces œuvres (cinq d’entre elles font partie de ce disque) reprennent des textes qui ont été mis en musique par le prédécesseur de Morales à la chapelle de Tolède, Andrés de Torrentes, et il est donc assez difficile de ne pas penser que Morales voulait non seulement que ses œuvres obtiennent plus d’éloges que celles de Torrentes, mais encore qu’elles les remplacent dans l’usage régulier.

            Aucune des œuvres de ce disque n’avait été enregistrée jusqu’à ce jour. Onze d’entre elles appartiennent au Codex 25 qui vient justement d’être découvert, et trois autres proviennent du Codex 21 et du Codex 16 de Tolède. Toutes les œuvres ont été copiées entre 1546 et 1549 par l’excellent scribe musical de la cathédrale, Martin Pérez. Dans presque tous les cas, nous présentons la polyphonie de Morales dans son contexte original, avec le plain-chant propre à la liturgie de Tolède, que nous avons découvert, dans la plupart des cas, dans les mêmes volumes de plain-chant qu’utilisait le choeur de Tolède à l’époque de Morales ; certains ont même été copiés de la main de Martin Perez. Mais ces commentaires ne reflètent pas une simple curiosité érudite car aucun livre de choeur de la si riche collection de la cathédrale de Tolède n’avait été étudié auparavant et n’avait donc, bien évidemment, servi de base à des interprétations en concert ou au disque. Au total, les œuvres enregistrées ici ne représentent qu’une sélection – généreuse –  des œuvres qui – nous pouvons maintenant le démontrer – datent de l’époque, brève mais intense du point de vue de la production artistique, de Morales à Tolède. On peut sans doute dénombrer jusqu’à quinze autres œuvres partageant probablement cette origine de Tolède. Il faudra encore au moins un autre disque pour compléter notre vision de ces 23 mois absolument lumineux de la vie de « la lumière musicale de l’Espagne ».

                                                          Carton original cd.

 

01  Asperges me Cristobal de Morales *****

            Morales a composé deux versions de Asperges me, et toutes deux ont survécu dans des sources datant de l’époque comprise entre 1546 et 1549. La plus ancienne, et la moins élaborée, est une version à 4 voix qui semble bien évidemment avoir été composée à Rome ; elle a été publiée, à cette époque, dans un missel imprimé à Lyon par Jacques Moderne. Dans la version romaine, Morales paraphrase librement la mélodie du plain-chant dans plusieurs voix, tandis que dans sa version de Tolède à 5 voix, conservée uniquement dans la section du Codex 25 copiée à la fin de 1545 ou au début de 1546, c’est le triplum qui est chargé de chanter le plain-chant tout au long de l’œuvre, avec des notes plus longues. Cette présentation plus stricte du chant liturgique est un trait qui caractérise presque toutes les œuvres de Morales écrites à Tolède.

Asperges me :

domine hyssopo et mundabor :

lavabis me et super nivem dealbador.

 

Miserere mei deus :

secundum magnam misericordiam tuam.

 

Gloria patri et filio et spiritui sancto :

sicut erat in principio et nunc et semper et in saecula

saeculorum. Amen.

 

Asperges me :

domine hyssopo et mundabor :

lavabis me et super nivem dealbador.

 

02 Et factum est postquam Cristobal de Morales   ****

             Les livres de comptes de la cathédrale de Tolède nous apprennent que le 4 avril 1547, le lundi de la Semaine Sainte, le scribe Martin Pérez reçut 408 maravédis pour avoir copié une lamentation polyphonique que Morales avait composée pour l’Office de Ténèbres de la nuit du mercredi suivant (6 avril). La copie effectuée en 1547 n’a pas survécu mais Pérez copia la même œuvre deux ans plus tard, en 1549, dans le Codex 21. Malheureusement, sa copie de 1549 fut substantiellement altérée plus tard, à l’adoption du Breviarium Romamum du Concile de Trente (1568) à Tolède vers 1575. Le exordium original de Morales (l’ample début jusqu’au « Aleph » non inclus) a été complètement éliminé et remplacé par un texte nouveau et une version musicale anonyme suivant le nouveau bréviaire. Heureusement, après que nous ayons détecté cette substitution, nous avons pu restaurer le exordium originale de Morales à partir de deux autres sources : le second livre choral de la cathédrale de Puebla et la Orphénica lyra de Miguel de Fuenllana (1554), où cet exordium apparaît dans une version en tablature pour luth et voix. Une fois de plus, la version est typique de Tolède, citant le chant propre à la tradition de cette ville tout au long de l’œuvre.

Et factum est, postquam in captivitatem ductus est Israel,

et Hierusalem destructa est, sedit Hieremias flens,

et planxit lamentationem hanc in Hierusalem, et dixit :

 

ALEPH.

Quomodo sedet vola civitas plena populo.

Facta est quasi vidua domina gentium.

Princeps provinciarum facta est sub tributo.

 

BETH.

Plorans plovarit in nocte, et lachrimae eius in maxillis eius :

non est qui consoletur eam, et omnibus charis eius.

Omnes amici eius spreverunt cam, et facti sunt ei inimici.

 

GHIMEL.

Migravit Iudas propter afflictionem, et multitudineme servituris :

habitavit inter gentes, nec invenit requiem.

Omnes persecutores eius apprehender unt eam inter augustias.

 

Hierusalem, Hierusalem :

convertere ad dominum Deum tuum.

 

03 Sacris solemniis Cristobal de Morales *****

            La musique d’un seul vers de cette version (« Noctis recolitur ») était connue depuis longtemps grâce à Luis Venegas de Henestrosa qui l’avait transcrite dans son Libro de cifra nueva (1557). J’ai cependant découvert dans le Codex 25 que Morales avait composé deux vers de plus de cet hymne bien connu pour la procession du Corpus Christi de Tolède. La version complète, conservée uniquement à Tolède, a probablement été chantée pour la première fois dans cette ville en 1546, quand la fête du Corpus Christi coïncida avec le 24 juin. Nous présentons ici la version complète de Morales en chantant le premier vers de l’hymne suivant la tradition de chant en notation mesurée, monophonique traditionnel de Tolède. Le vers final de Morales (« Panis angelicus »), récemment récupéré, se trouve être le même vers que le théoricien Bermudo signala dans sa Declaracion comme un exemple du grand art de Morales dans la présentation simultanée de deux plains-chants à deux voix. Les deux plain-chants sont, de fait, le chant Sacris en canon libre entre le triplum et l’alto (à la quinte grave).

1 Sacris solemniis iuncta sint gaudia :

et ex praecordiis sonent praeconia :

recedant vetera, nova sint omnia :

corda voces et opera.

 

2 Noctis recolitur coena novissima :

qua Christus creditur agnum

et azyma dedisse fratribus

iuxta legitima priscis indulta patribus.

 

4 Dedit ex frugibus corporis ferculum

dedit ex vitibus sanguinis poculum :

dicens accipite quod trado vasculum :

omnes ex eo bibete.

 

6 Panis angelicus fit panis homimun :

dat panis caelicu figuris terminum :

o res mirabilis :

manducat dominum pauper servus et humilis.

 

04 Eripe me Cristobal de Morales  ****

            Morales a composé cette version fabordon du Psaume 139 pour la fête de la Toussaint (1er novembre) de 1545. En réalité, l’oeuvre a été chantée pour la première fois pour les Vêpres de la nuit antérieure, comme le dernier des cinq psaumes. Morales traite les vers 3, 6, 9, etc. en polyphonie, et confie les autres (les deux premiers de chaque groupe de trois) ainsi que l’antienne Justi confitebuntur au plain-chant. La copie de cette œuvre, effectuée par Pérez en 1546, à présent dans le Codex 25, est sérieusement endommagée, mais nous avons heureusement pu la reconstruire à l’aide d’un exemplaire concordant datant de la fin du XVIe siècle, conservé dans les Archives Manuel de Falla de Granada.

Justi confitebuntur nomini tuo

et habitabunt recti cum vulto tuo.

 

1 Eripe me domine ab homine malo : a viro iniquio eripe me.

 

2 Qui cogitaverunt iniquitates in corde : tota die constituebant praelia.

 

3 Acuerunt linguas suas sicut serpentes :

venenum aspidum sub labiis eorum.

 

4 Custodi me domine de manu peccatoris : et ab hominibus iniquis eripe me.

 

5 Qui cogitaverunt supplantare gressus meros : absconderunt superbi laqueum mihi.

 

6 Et funes extenderunt in laqueum :

iuxta iter scandalum posuerunt mihi.

 

7 Dixi domino : Deus meus es tu : exaudi domine vocem deprecationis mea.

 

8 Domine domine virtus salutis meae : obumbrasti super caput meum in die belli.

 

9 Ne tradas me domine a desiderio meo peccatori ;

cogitaverunt contra me : ne derelinquas me, no forte exaltentur.

 

10 Caput circuitus eorum : labor labiorum ipsorum operiet eos.

 

11 Cadent super eos carbones, in ignem deiicis eos : in miseriis non subsistent.

 

12 Vir linguosus non dirigetur in terra : virum iniustum mala capient in interitu.

 

13 Cognovi quia faciet dominus iudicium inopis : et vindictam pauperum.

 

14 Verumtamen iusti confitebuntur nomini tuo : et habitabunt recti cum vulto tuo.

 

15 Gloria patri et filio : et spiritui sancto.

 

16 Sicut erat in principio et nunc et semper : et in saecula saeculorum. Amen.

 

Justi confitebuntur nomini tuo

et habitabunt recti cum vulto tuo.

 

05 Urbs beata Jerusalem Cristobal de Morales   ****

              Cet hymne de Vêpres, qui se trouve exclusivement dans le Codex 25, a été composé par Morales pour la célébration de la fête de la Consécration de la Sainte Eglise de Tolède, le 25 octobre 1545. Morales traite le second et le dernier (neuvième) vers de l’hymne en polyphonie, confiant les autres au plain-chant de Tolède. Dans cet enregistrement, nous chantons le premier et le septième vers avec la mélodie de plain-chant traditionnel de Tolède. Morales écrit le même chant pour la voix du triplum au deuxième vers (à 4 voix), et au neuvième vers (à cinq voix) il traite le chant en canon strict entre les deux voix supérieures.

1 Urbs beata Hierusalem

dicta pacis visio :

quae construitur in caelis

vivis ex lapidibus :

et angelis coornata

ut sponsata comite.

 

2 Nova veniens e caelo

nuptiali thalamo :

praeparata ut sponsata

copuletur domino :

plateae et muri eius

ex auro purissimo.

 

7 Hoc in templo, summe Deus,

exoratus adveni :

et clementi bonitate

praecum vota suscipe :

largam benedictionem

hic infunde iugiter.

 

9 Gloria et honor Deo

usquequo altissimo :

una patri filioque

inclyto paracleto :

cui laus est et potestas

per immensa saecula. Amen.

 

06 Nova resultent gaudia Cristobal de Morales *****

           Avant la redécouverte du Codex 25, on s’étonnait que Morales n’ait jamais composé d’oeuvres en honneur des saints patrons de Tolède. A présent nous savons qu’il l’a fait : nous en avons la preuve dans cet hymne pour les Vêpres de la fête de Saint Eugène du 15 novembre 1545. Une fois de plus, cette version se conserve uniquement à Tolède. Et de nouveau, Morales traite le second et le dernier vers (le septième dans ce cas) en polyphonie tandis que nous chantons le premier et le sixième vers selon la tradition de chant mesuré monophonique traditionnel de Tolède.

1 Nova resultent gaudia

novitate solenii,

quod pro sancti Eugenii

palma refert ecclesia.

 

2 Docte alumnus Graeciae

misit hunc Dionysus :

ut esset solis radius

in tenebris Hispaniae.

 

6 Toletum praesul inclytus

quo vigebat spurcitia

a ritus immunditia

per fidem lavit poenitus.

 

7 Uni trinoque domino

sit laus, virtus, et gloria :

cuius sola potentia

nullo vallatur termino. Amen.

 

07 Felix per omnes Cristobal de Morales *****

            Cette version de Morale pour les Vêpres de la fête de Saint Pierre et de Saint Paul (29 juin) de l’année 1546 appartient, de nouveau, exclusivement au Codex 25 de la cathédrale de Tolède. Dans les deux vers, Morales confie le plain-chant original de Tolède (que nous chantons aussi en homophonie au premier et au cinquième vers) à la voix de triplum.

1 Felix per omnes festum mundi cardines,

apostolorum praepollet alacriter.

Petri beati Pauli sacratissimi :

quos Christus almo consecravit sanguinem :

ecclesiarum deputavit principes.

 

2 Hi sunt olivae duae coram domino,

et candelabra luce radiantia :

praeclara caeli duo luminaria :

fortia solvunt peccatorum vincula

portas olimpi referant fidelibus.

 

5 Quodcunque vinclis super terram strinxerit :

erit in astris religatum fortiter :

et quod resoluit in terris arbitrio :

erit solutum super caeli radium :

in fine mundi iudex erit saeculi.

 

7 Gloria deo per immensa saecula

sit tibi nate decus et imperium

honor protestas sanctoque spiritui :

sit trinitati salus individua

sit trinitati saeculorum saecula. Amen.

 

08 Nunc dimittis Cristobal de Morales *****

             Morales a composé cette version du cantique Nunc dimittis pour la cérémonie de la Bénédiction des Chandelles de la fête de la Purification de la Vierge (Chandeleur) du 2 février 1546. Il y a plusieurs cérémonials propres à Tolède, datant du XVIe siècle, qui donnent des instructions pour l’interprétation de cette œuvre ; ils signalent particulièrement que le plain-chant Lumen ad revelationem doit se chanter après chaque vers du cantique, mais (comme cela se faisait uniquement à Tolède) non pas entre le « Gloria patri » et le « Sicut erat ». Un cérémonial stipule aussi que l’antienne devait se chanter en « contrepoint », c’est-à-dire, en polyphonie improvisée [ou contrapunto alla mente]. Une poignée d’exemples écrits en contrapunto durant cette période révèle qu’il devait s’agir, idéalement, d’un style très proche de celui de la polyphonie composée. Nous avons donc décidé d’introduire notre propre « contrepoint » seulement à la première et à la dernière répétition de l’antienne. Notre contrapunto est cependant plus planifié qu’improvisé, et se base plus ou moins sur une transcription d’une improvisation semblable à celle qui s’exécutait à la chapelle papale de Rome à l’époque où Morales y vivait, et qui est à présent conservée au Vatican, à la Chapelle Sixtine, sous le numéro MS 46.

Lumen ad revelationem gentium : et gloriam plebis tuae Israel.

 

Lumen ad revelationem… (contrapunctus)

 

1 Nunc dimittis servum tuum domine :

secundum verbum tuum in pace.

 

Lumen ad revelationem…

 

2 Quia virderunt oculi mei :

salutare tuum.

 

Lumen ad revelationem…

 

3 Quod parasti :

ante faciem omnius populorum.

 

Lumen ad revelationem…

 

4 Gloria patri et filio :

et spiritui sancto.

 

5 Sicut erat in principio et nunc et semper :

et in saecula saeculorum. Amen.

 

Lumen ad revelationem… (contrapunctus)

 

09  Gloria laus et honor Cristobal de Morales *****

             La version de Morales de deux vers de l’hymne de la procession du Dimanche de Rameaux est composée pour 3 voix de triplum et un ténor : il reflétait en cela la tradition de Tolède où l’hymne se chantait traditionnellement par un choeur d’enfants quand la procession se préparait à rentrer dans la cathédrale par l’une des portes principales. L’oeuvre se trouve uniquement conservée dans le Codex 21 de Tolède (il existe aussi, dans un autre livre de choeur de Tolède, une copie plus tardive transcrite directement de celle-ci) mais nous ne savons pas si Morales l’a composée pour le Dimanche de Rameaux de 1546 (18 avril) ou de 1547 (3 avril). Nous interprétons ici la version des vers de Morales comme le requiert la liturgie, avec le refrain du plain-chant.

Gloria laus et honor tibi sit

rex Christe redemptor :

cui puerile decus

prompsit osanna pium.

 

1 Israel es tu rex

Davidis et inclyta proles :

nomine que in domini

rex benedicte venis.

 

Gloria laus et honor…

 

2 Caetus in excelsis

te laudat caelitus omnis :

et mortalis homo

et cuncta creata simul.

 

Gloria laus et honor…

 

10 Et incarnatus est  Cristobal de Morales *****

            Le 11 mais 1546, le scribe Martin Perez a reçu la somme de 6 reales pour copier « deux incarnatus » qui devaient s’ajouter au « livre de messes ». Les deux versions sont de Morales ; de l’une des deux, ajoutée au Codex 33, il ne reste que des fragments. Mais heureusement, l’autre Et incarnatus est, ajoutée au Codex 16 (dont le reste avait été copié par Perez en 1542), est conservé en entier. Il est presque certain que Morales l’avait composé pour le Carême de 1546. Selon la coutume de Tolède, dans les messes des dimanches de Carême, on ne chantait pas les versions polyphoniques complètes du Credo mais, à l’exception du vers « Et incarnatus », on chantait le Credo en plain-chant. Cette magnifique miniature reflète toute la solennité d’un moment crucial de la liturgie de l’Eucharistie.

Et incarnatus est de Spiritu Sancto

ex Maria virgine

et homo factus est.

 

11  Jam Christus astra ascenderat Cristobal de Morales *****

             Morales a composé la musique du second vers de cet hymne de Vêpres de Tolède pour la fête de Pentecôte (13 juin) 1546. Il n’y a que trois parties vocales  transcrites ; mais le triplum (chargé du plain-chant que nous chantons au premier vers) porte l’inscription canonique « Canon altus in diatessaron sine pausis », ce qui indique que la voix d’alto doit lire la même musique que le triplum, à la quarte grave, et en omettant les sept pauses. Bermudo considérait que ce haut fait contrapuntiste de Morales était si impressionnant qu’il lui dédia un commentaire particulier dans sa Declaracion. Mais l’inventivité de Morales va bien plus loin : le deuxième et le troisième vers du texte de l’hymne (« quo mystico septemplici / orbis volutus septies ») se réfèrent spécifiquement aux sept semaines de la Pâque (49, ou 7 fois 7 jours) qui aboutissent au cinquantième jour de Pentecôte, quand le don du Saint Esprit à l’Église inaugure le « temps béni » (beata tempora). Ce n’est donc pas une coïncidence si la voix d’alto canonique, conçue avec tant de soin par le compositeur, chante exactement durant 49 pulsations de semi-brèves avant de se poser finalement sur la cinquantième. En omettant les sept pauses chantées par la voix de triplum, l’alto semble énumérer les sept semaines qui annoncent la venue de la Pentecôte.

1 Iam Christus astra ascenderat

regressus unde venerat :

promissa patris munera

sanctum daturus spiritus.

 

2 Solennis urgebat dies :

quo mystico septemplici,

orbis volutus septies

signat beata tempora.

 

 

12  Veni redemptor gentium  Cristobal de Morales *****

           Morales a composé cette version du deuxième et du huitième vers de l’hymne des Vêpres Veni redemptor gentium pour la nuit de Noël de 1545. La copie originale du Codex 25 est sérieusement endommagée mais, heureusement, la musique du deuxième vers peut se confirmer grâce à une autre copie d’un manuscrit du monastère royal de Santa Maria de Guadalupe. Le huitième vers, par contre, ne se trouve que dans le Codex 25 et, pour pouvoir l’inclure dans ce disque, nous avons dû réaliser un certain travail de « reconstruction » éditoriale de plusieurs passages brefs (dépassant rarement l’étendue d’une mesure) concernant les deux voix les plus hautes. La structure à cinq voix, d’une grande élaboration, repose, comme d’habitude, sur le plain-chant, que Morales présente en canon strict entre le ténor et le second alto (à la quinte supérieure).

1 Veni redemptor gentium

ostende partum virginis :

miretur omne seculum :

talis decet partus Deus.

 

2 Non ex virili semine

sed mystico spiramine :

verbum Dei factum caro :

fructusque ventris floruit.

 

5 Egressus eius a patre :

regresus eius ad patrem :

excursus usque ad inferos :

recursus ad sedem Dei.

 

8 Laus honor virtus gloria

Deo patri et filio :

sancto simul paraclito,

in sempiterna saecula. Amen.

 

 

13 Monstra te esse Cristobal de Morales *****

            Monstra te esse était l’un des vers de l’hymne Ave maris stella, mais se chantait aussi séparément aux stations durant la procession, à l’air libre, de la fête de l’Assomption à Tolède. Morales a composé cette version pour voix aiguës et l’a confiée à un ensemble de trois triplum (chantés à l’époque par des enfants) avec une quatrième voix d’alto que sans doute, en tant que maestro, il chantait lui-même. Le vers ne survit dans sa totalité que dans le Codex 25. Nous signalons en outre qu’on peut trouver l’une des parties de triplum, en transcription séparée, dans un recueil de partitions qui, s’il se trouve aujourd’hui à Barcelone, a probablement été copié à Tolède.

Monstra te esse matrem :

sumat per te preces :

qui pro nobis natus

tulit esse tuus.

 

 

14 Ave maris stella Cristobal de Morales *****

           La splendide version de Morales des vers 2, 4, 6 et 7 de Ave maris stella, hymne extrêmement populaire, est peut-être l’une des meilleures œuvres enregistrées dans ce disque. Ave maris stella a été chanté à la cathédrale de Tolède comme un hymne de Vêpres au cours de plusieurs fêtes majeures de la Sainte Vierge. La section du Codex 25 où est conservé ce chef d’œuvre est en si mauvais état que certains folios sont collés par les bords. Certaines sections des vers 2, 4 et 6 n’ont pu être transcrites qu’à la lumière d’une lanterne traversant le parchemin, révélant ainsi les images en miroir des notes et du texte des deux côtés collés du parchemin. Et c’est par hasard que nous avons pu vérifier la musique du deuxième vers grâce à une seconde copie d’un manuscrit qui est à présent à Ledesma, et celle du quatrième vers (composé pour 3 voix seulement) en consultant un autre manuscrit à Guadalupe. Cependant, la musique du sixième vers (pour 4 voix) et celle du septième vers (pour 6 voix, avec traitement canonique du plain-chant) n’est conservé qu’à Tolède. Le processus de reconstruction, long et difficile, reçut une récompense au-delà de toute espérance au moment de la révélation, dans toute sa plénitude, de l’hymne le plus substantiel qui ait jamais été écrit de la plume du maître.

1 Ave maris stella

Dei mater alma :

atque semper virgo

felix caeli porta.

 

2 Sumens illud ave

Gabrielis ore :

funda nos in pace

mutans Evae nomen.

 

4 Monstra te esse matrem :

sumat per te preces :

qui pro nobis natus

tulit esse tuus.

 

6 Vitam praesta puram :

iter para tutum :

ut videntes Iesum

semper collaetemur.

 

7 Sit laus Deo patri :

summo christo decus :

spiritui sancto

tribus honor unus. Amen.

 

            Cristobal de Morales, né à Séville vers 1500, fut ordonné prêtre à vingt-six ans et nommé maître de chapelle à la cathédrale d’Avila. En 1534, il rejoignit Rome et les chœurs pontificaux. Sa musique, presque exclusivement sacrée, devint célèbre en partie grâce à un recueil de ses œuvres qu’il publia à cinq cents exemplaires et grâce auquel ses œuvres furent jouées à travers l’Europe et l’Amérique latine.

            Les musicologues ont longtemps présumé que l’inspiration de Morales s’était tarie lorsqu’en 1545 il retourna en Espagne, à la cathédrale de Tolède. Mais quand Michael Noone fut invité en 2002 à étudier un manuscrit endommagé, il y découvrit vingt morceaux de ce compositeur, dont les quatorze inclus dans cet album et jusque-là complètement inconnus. Le livret du CD offre un récit fascinant : Noone a transcrit la musique de Morales à partir de pages collées les unes aux autres, et, en éclairant le parchemin à la lampe électrique, il a pu découvrir l’image inversée des notes et du texte et ainsi les copier.

            Ce concert a été enregistré à Londres, à St. Jude-on-the-Hill, église à l’acoustique ample et magnifique ; la prise de son a laissé intactes la transparence des treize voix à cappella et la sonorité scintillante qui naît d’une intonation précise. Elles sont distinctes et riches, sans presque aucune trace de vibrato qui obscurcirait la structure musicale.

            La musique est le plus souvent à quatre ou cinq voix, mais l’Ave Maris stella final prend une ampleur magnifique en passant de trois voix à quatre, puis à six dans le dernier couplet dont la densité donne le frisson. Une musique jusque-là inconnue d’un maître de la Renaissance  espagnole – un disque que l’on chérira.

  George Pratt, Les 1001 œuvres classiques qu’il faut avoir écoutées dans sa vie.

 

            Bien que Tomás Luis de Victoria soit, selon le jugement de la postérité, la figure de proue incontestée de la musique sacrée espagnole du XVIe siècle, Cristóbal de Morales était, de son vivant, le compositeur espagnol le plus connu, celui qui voyageait le plus et dont la sphère d’influence était la plus grande. Si l’album Officium de Jan Garbarek et du Hilliard Ensemble, paru en 1994 sur ECM, a beaucoup contribué à la réputation de Morales, ce dernier doit encore parcourir un long chemin pour rattraper Victoria en termes d’enregistrements. L’Ensemble Plus Ultra et son directeur Michael Noone sont là pour aider à soulever le couvercle de la boîte à trésors de Morales dans un disque Glossa intitulé Morales en Toledo : Polifonía inédita del Códice 25. Le terme « inédit » est ici plus proche de « non publié » que de « non édité », puisque Noone a lui-même créé les éditions interprétées par l’Ensemble Plus Ultra à partir de trois manuscrits de Tolède. Códice 25 est le texte principal utilisé, un volume très endommagé qui n’a été examiné qu’en 2002, mais dont on a découvert qu’il contenait les manuscrits de 20 œuvres de Morales, dont 14 étaient inconnues jusqu’alors. Toutes ces œuvres datent du mandat de Morales en tant que Maestro di Capilla de la cathédrale de Tolède, qui n’a duré que 23 mois, de 1545 à 1547, et aucune de ces pièces n’a été enregistrée auparavant.

Le travail de Noone est vraiment impressionnant ; l’Ensemble Plus Ultra chante cette musique avec souplesse, mais aussi avec contrôle et un grand sens de l’occasion. Tous les incipits de chant pertinents sont inclus pour ces motets, et les incipits eux-mêmes proviennent des livres de chant spécifiques utilisés à Tolède à l’époque de Morales. Les notes de Noone sont sérieuses et très informatives, et l’emballage est d’une grande beauté. Cependant, il est dommage que la musique de Morales ne soit pas plus intéressante qu’elle ne l’est — il s’agit de pièces très solennelles, assez semblables les unes aux autres, et l’écoute par courtes périodes ne semble pas soulager le sentiment d’uniformité propre à toutes les sélections. Noone informe le lecteur que « l’on pensait auparavant que sa créativité était sur le déclin, les œuvres récemment retrouvées démontrent que (Morales) était en fait au sommet de son art ». Bien que la musique et les interprétations soient très agréables et bien faites, rien ici ne semble atteindre les hauteurs glorieuses des messes de Morales, ni rien dans son Officium Defunctorum. Si l’on est déjà très attiré par l’œuvre de Morales, Morales en Toledo : Polifonía inédita del Códice 25 se recommande pratiquement de lui-même. Néanmoins, pour ceux qui cherchent à découvrir Morales, il existe une poignée d’autres enregistrements, y compris Officium, qui pourraient représenter une meilleure introduction à son travail.

                                                            **** Uncle Dave Lewis, All Music.