Josquin des Prés - L'homme armé Masses (5/5)

01L’homme arméAnonyme*****
02Missa L’homme armé super voces musicales – KyrieJosquin des Prés*****
03                                                                          Gloria Josquin des Prés*****
04                                                                          CredoJosquin des Prés*****
05                                                                    Sanctus & BenedictusJosquin des Prés*****
06                                                                           Agnus DeiJosquin des Prés*****
07Missa L’homme armé sexti toni – KyrieJosquin des Prés*****
08                                                    Gloria Josquin des Prés*****
09                                                    CredoJosquin des Prés*****
10                                                   Sanctus & BenedictusJosquin des Prés*****
11 
                                                   Agnus Dei
Josquin des Prés*****

            Il a existé au moins 31 Messes basées sur la mélodie de L’homme armé à l’époque de la Renaissance. Josquin des Prés en écrivit deux qui se situent environ à mi-chemin, entre celles de Dufay et d’Ockeghem d’une part, et celles de Morales et de Palestrina d’autre part (chacun en écrivit deux). Il est tout à fait précieux de pouvoir entendre les compositions de Josquin à la suite dans la mesure où l’on pense que, tout en écrivant la première Super voces musicales, il concevait de nouveaux défis en matière de composition qui s’exprimèrent dans Sexti toni. Une interprétation sur disque de Super voces musicales offre un intérêt supplémentaire, car je pense que, compte tenu de sa longueur et de la tessiture de ses parties vocales, il serait pratiquement impossible d’interpréter cette œuvre en concert dans son intégralité.

            La source sûre la plus ancienne de la mélodie de L’homme armé est un manuscrit napolitain de la fin du XVᵉ siècle qui comporte six Messes anonymes basées sur cette chanson. La chanson et les paroles de la sixième Messe se trouvent à la page 16. On peut traduire le texte ainsi : « Craignez l’homme armé ; on a fait dire à chacun de revêtir un haubergeon de fer », ce qui est peut-être une référence à une croisade contre les Turcs (voir Lewis Lockwood dans le New Grove). Cette version napolitaine de L’homme armé pose deux problèmes non résolus : s’agissait-il à l’origine d’une chanson monophonique ou de la partie de ténor d’une chanson à trois voix ayant disparu ? Existait-il à l’origine d’autres vers, comme la construction avec refrain semble le suggérer ? Outre les compositeurs déjà cités, il y eut des Messes fondées sur L’homme armé écrites par Busnois (dont Pietro Aaron dit en 1523 qu’il fut le compositeur originel de la chanson), Regis, Tinctoris, Obrecht, Brumel, Mouton, de Silva, Carver et plusieurs autres. Carissimi conclut la série au XVIIᵉ siècle et paracheva la tradition avec une œuvre à 12 voix.

            A la première écoute, les deux Messes L’homme armé de Josquin n’ont rien de commun. L’on peut supposer très simplement que Super voces musicales était une composition médiévale, et Sexti toni une œuvre de maturité de la Renaissance. Or, à en croire le manuscrit, toutes deux dataient probablement de la période dite intermédiaire de Josquin qui s’acheva vers l’année 1500, bien que l’on présume que Super voces musicales fut écrite en premier. Elles furent imprimées toutes les deux par Petrucci en 1502.

            Le titre Super voces musicales indique que la mélodie de L’homme armé est citée tour à tour sur chaque note de l’hexacorde. Cette montée commence sur le do dans le Kyrie, continue sur le ré dans le Gloria, le mi dans le Credo, le fa dans le Sanctus (redonné en entier dans les deux Hosannas), le sol dans le premier Agnus Dei (incomplet) et le la dans le troisième Agnus (à ce stade, elle a fini par devenir trop haute pour être chantée par les « ténors » et a été confiée à la voix la plus haute). Les seules parties qui soient totalement libérées de cet air sont « pleni sunt caeli », le Benedictus et l’Agnus Dei II – le Benedictus et l’Agnus Dei II étant des canons de mesure respectivement à deux et trois voix. Le second Agnus est particulièrement compliqué du fait que le canon à trois temps est confié à la voix la plus haute et s’oppose aux différents rythmes binaires des deux voix en dessous. Les secondes moitiés du Gloria et du Credo (qui commencent à « Qui tollis » et à « Et incarnatus est ») sont basées sur la mélodie inversée avec, dans le Credo, un exposé supplémentaire de la mélodie initiale, à partir de « Confiteor » dans un rythme syncopé. C’est parce que cette Messe présente une structure mathématique plus apparente que Sexti toni qu’elle semble la plus ancienne des deux. Tout aussi peu caractéristique de la musique de la Renaissance tardive est la décision de Josquin d’écrire ici pour quatre voix qui se chevauchent en permanence : la voix du haut devenant basse, celle du bas devenant haute et les deux du milieu dans des registres à peu près complémentaires. Mais il savait sans aucun doute très précisément ce qu’il faisait, car la texture dense et caractéristique de cette Messe est tout aussi expressive, mais d’une manière différente, que l’écriture assez largement répandue de Sexti toni.

            La Messe Sexti toni de Josquin (sur le sixième mode) porte ce nom parce qu’il a transposé la mélodie pour terminer sur le fa (par opposition au sol plus normal), en lui donnant une tonalité en majeur. Cet élément de transposition fait partie de ce qu’il a emprunté à Super voces musicales, bien que là, comme nous l’avons vu, il soit devenu un principe de construction. L’idée d’exposer les formes directe et inversée à la suite comme précédemment, Josquin les expose ici dans le troisième Agnus Dei toutes les deux en même temps. Elles constituent les deux parties les plus basses dans un mouvement où le nombre des voix est passé de quatre à six, et où les voix du haut sont associées en deux canons à l’unisson. Alors que ceci révèle une virtuosité exceptionnelle dans la composition, le son même de cet Agnus final est des plus étranges, et évoque plutôt les méthodes de compositeurs modernes minimalistes tels que Philip Glass.

            Le reste de l’œuvre semble plus détendu, bien que l’on remarque en fait que Josquin essaie constamment de nouvelles allures, de nouveaux rythmes et de nouveaux arrangements pour l’air de L’homme armé, tantôt complet, tantôt réduit à quelques notes servant de base à un motif de basse contrainte ou à un canon. L’étendue du registre des parties à quatre voix donne à l’écriture le type de sonorité qui est associée à Palestrina. Josquin y eut constamment recours dans un sens imaginatif, et il ne fit jamais mieux que sur « Et resurrexit » dans le Credo. Parce qu’elle révèle tous ces aspects différents de son extraordinaire technique, cette Messe doit compter parmi les œuvres les plus accomplies d’un compositeur qui fut longtemps considéré comme le plus grand de son époque.

                                                                                   Peter Phillips, carton original CD.

 

           Les Tallis Scholars, en quelques enregistrements, ont assis leur renommée ; j’allais même écrire : leur suprématie. N’exagérons pas, mais il faut tout de même constater qu’ici leur « impeccabilité » est tout simplement… divine, et qu’elle ne souffre aucune comparaison. Peter Philiips obtient de ses troupes une lumière, une transparence, une limpidité, une tenue que bien des ensembles voudraient acquérir…

                                                                                               Télérama, La discothèque idéale.