Thomas Tallis – Spem In Alium

Thomas Tallis – Spem In Alium (4,85/5)

 

 

 

            Ce disque est en partie une commémoration de la mort de Thomas Tallis qui a eu lieu le 23 novembre 1585 – il y a 400 ans. Il fut inhumé dans le chœur de l’église paroissiale de St Alphege, Greenwich qui, par la suite, a été reconstruite (1711-1714), et l’épitaphe de Tallis a été perdue. Avant sa mort, il était propriétaire d’une maison à Greenwich, et son testament traitait d’un héritage assez considérable. Étant donné qu’il avait été nommé maître des compositeurs de la Chapelle Royale à partir du règne de la Reine Mary au moins, on peut imaginer qu’il pouvait vivre à l’aise.

            Spem in alium, un motet à quarante voix pour huit chœurs à cinq voix, est certainement le plus coulant de tous les ouvrages à plusieurs chœurs de l’époque baroque et de la Renaissance. Il est comparable à Ecce beatam lucem à 40 voix de Striggio ; Qui habitat in adjutorio à 24 voix de Josquin ; Deo Gratias à 36 voix attribué à Ockeghem ; Buccinate in neomenia à 19 voix relativement modeste de Giovanni Gabrieli et O bone Jesu à 19 voix de Robert Carver ; ou Missa Salisburgensis à 53 voix attribué à Biber. Certaines de ces œuvres sont principalement en accords (Striggio, Gabrieli, Biber) ; et le reste très polyphonique (Josquin, Ockeghem, Carver). Tallis a soigneusement et habilement mélangé les deux alternatives, en commençant par la polyphonie, employant l’homophonie pour les paroles importantes ‘Domine Deux, creator coeli et terrae’, et finissant de nouveau par un contrepoint à 40 voix. On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une sorte d’exercice académique, et on n’a pas vraiment l’impression que le nombre de voix soit excessif par rapport à ce que Tallis a essayé d’exprimer. Si, en essayant d’éviter les octaves consécutives, certaines des voix des parties à quarante voix semblent surgir sans raison au cours d’un arpège, elles contribuent néanmoins au véritable impact du son qui possède une rhétorique propre. L’autre avantage d’avoir tant de chœurs réside dans les effets polychoraux ou stéréophoniques entre eux.

            Personne n’est certain de ce qui a amené Tallis à composer ce morceau. On a suggéré qu’il était destiné à célébrer le 40ème anniversaire d’un monarque régnant (soit celui de Mary en 1556, soit celui d’Elizabeth Ière en 1573). Une hypothèse plus sûre attribue l’idée d’un motet à 40 voix à Alessandro Striggio qui était à Londres en 1567 et avait probablement avec lui la partition d’Ecce beatam lucem – son propre morceau à 40 voix. Il est possible que Tallis ait été impressionné par ce dernier qui a constitué un réel défi. Denis Stevens va encore plus loin dans la suggestion et pense que Spem a été exécuté pour la première fois dans la Long Gallery d’Arundel House à Londres en 1750 ou 1751, commandé par le Duc de Norfolk. Les exécutants étaient un chœur d’hommes et probablement de jeunes garçons, dirigé par le compositeur, les chants étant renforcés à volonté par des instruments. Il s’agissait d’une occasion profane, mais Tallis avait lui-même choisi un texte de réponse concernant l’espoir, l’absolution des péchés et la félicité de l’humilité, comme un plaidoyer adressé à la Reine Elizabeth qui était à l’époque mêlée à la suppression de l’Église catholique dont Tallis faisait encore partie.

            Sancte Deus fut l’une de ses premières œuvres, composée sous le règne d’Henri VIII avant la Réforme, présentant pourtant des tendances réformistes. Le texte est une antienne à la louange de Jésus et non de la Vierge comme il en était de coutume auparavant. La musique, à quatre voix, est plus succincte que les morceaux consacrés à la Vierge Marie d’autrefois : un rare mélange d’ancien et de nouveau de style Taverner.

            Les deux mises en musique du texte de Salvador mundi, salva nos sont assez compactes, par rapport à l’usage de composition sous le règne d’Elizabeth Ière. Le texte même est une antienne propre aux matines de l’exaltation de la Croix. La deuxième mise en musique comprend un canon très distinct entre les voix intermédiaires et de ténor, les voix de ténor se trouvant à huit mesures derrière les voix intermédiaires.

            Gaude gloriosa est également colossal mais pour une autre raison que Spem in alium. Sa longueur est assez inhabituelle et l’ensemble est magnifique, caractéristiques que Tallis a voulues et développées avec sa dextérité habituelle. Le texte de l’antienne qu’il a choisi lui-même est composé de neuf invocations de la Vierge, chacune commençant par ‘Gaude’, avec lesquelles Tallis réalise huit parties musicales. Mais le choix de l’arrangement lui est tout-à-fait propre, en commençant doucement avec les deux passages solo d’ouverture pour trois voix chacun – un quatrième chanteur se joignant au deuxième à un moment – pour aboutir à la première longue partie complète pour un chœur à six voix, qui comprend deux des ‘Gaudes’ du texte. Elle est suivie par un double gimell (les voix de soprano et les voix intermédiaires sont divisées) auquel des voix de basses se joignent, un arrangement des voix traditionnellement très chargé. Il s’agit du centre du morceau, le pivot autour duquel le reste rayonne. Le trio composé de deux altos et d’un ténor est assourdi à dessein ; la partie complète suivante, la plus courte, permet alors un changement de texture avant un magnifique solo pour une voix intermédiaire, un haut-contre et deux voix de basse. Ceci constitue en soi un ensemble agréable : un arrangement de texte plutôt syllabique aboutissant à un mélisme final ascendant sur le mot ‘liberati’, ce qui représente également un bon emploi des mots. La dernière partie complète devient doucement de plus en plus puissante, atteignant son apogée une fois dans la phrase ascendante ‘adesse caelorum regnum’ et de nouveau dans le mot ‘Amen’, toutes les voix, particulièrement les sopranos, atteignant des notes exceptionnellement élevées. En ce qui concerne sa date de composition, Paul Doe a décidé que le morceau ‘est adressé à la Reine Mary, chantant ses louanges pour avoir restauré la véritable foi’. A l’époque de son règne (1553-1558), il aurait semblé délibérément et agréablement démodé.

            Miserere à sept voix est un tour de force technique, rare chez Tallis. Il appartient – ou est très similaire étant donné qu’il ne comporte pas de psalmodie – à la tradition anglaise des mises en musique de Miserere en forme de canon, purs témoignages de compétence technique. Ce morceau est un canon six-en-deux avec un ténor libre. Les deux voix intermédiaires chantent un canon à cadence ordinaire très distinct à un intervalle de quatre mesures. Le premier alto a une mélodie qui est également chantée par trois autres voix commençant en même temps – l’une en double augmentation (le deuxième alto) ; une autre renversée et augmentée (la deuxième voix de basse) : et l’autre renversée et en triple augmentation (la première voix de basse). Il s’agit également d’un hommage des plus frappants au pouvoir d’imagination de Tallis.

            Loquebantur variis linguis est un répons sur le plain-chant pour les Premières Vêpres de la Pentecôte et est arrangé pour sept voix (MMAATBB), la psalmodie étant chantée par le ténor. Ces voix se situent dans un registre de vingt  notes, ce qui procure un son complexe, peut-être avec l’intention de représenter la vive émotion des apôtres testant leur facilité d’expression nouvellement acquise tous en même temps.

                                                                                               Peter Phillips, carton original CD.

 

01 Spem In Alium Thomas Tallis *****
02 Sancte Deus Thomas Tallis *****
03 Salvator mundi, salva nos I  Thomas Tallis *****
04 Salvator mundi, salva nos II Thomas Tallis   ****
05 Gaude gloriosa  Thomas Tallis *****
06 Miserere nostri Thomas Tallis ***** 
07  Loquebantur variis linguis  Thomas Tallis *****

 

            Spem in alium est sans doute le motet le plus connu du compositeur anglais. Il n’est pourtant pas le plus facile « à mettre en place » et c’est une belle performance de Peter Phillips que d’y avoir réussi avec une telle perfection. C’est, d’ailleurs, l’un des grands succès des Tallis Scholars, qui y apportent l’émotion qu’une rencontre d’un compositeur (du XVIe siècle) avec ses interprètes attendus et prédestinés (du XXe siècle) peut parfois susciter. Un rendez-vous. Des retrouvailles.

                                                                                                          Télérama, La discothèque idéale.

 

 

           

01 Spem in alium nunquam habui praeter in te,                                           Je n’ai jamais mis tout mon espoir en quelqu’un

Deus Israel, qui irasceris, et propitius eris, et                                           d’autre que toi, Dieu d’Israël, qui peut être

omnia peccata hominum in tribulatione dimittis.                                  Courroucé mais redevient miséricordieux, et qui

Domine Deus, Creator coeli et terrae, respice                                        Seigneur Dieu, Créateur du ciel et de la terre,

humilitatem nostram.                                                                                 Tiens compte de notre humilité.

 

 

02 Sancte Deus, sancte fortis, sancte et immortalis :                  Dieu saint, saint et fort, saint et immortel, ais pitié

miserere nobis.                                                                                  De nous.

Nunc, Christe, te petimus miserere quaesumus,                         Maintenant, Ô Jésus Christ, nous te prions : Toi

qui venisti redimere perditos : noli damnare                              qui es venu pour racheter les âmes perdues, ne

redemptos, quia per crucem tuam redemisti                               condamne pas ceux qui sont corrompus, car, par

mundum. Amen.                                                                               Ta croix, tu as racheté le monde. Amen.

 

 

03 Salvador mundi salva nos, qui per crucem et                     Ô sauveur du monde, sauve-nous, toi qui par ta

sanguinem redemisti nos : auxiliare nobis, te                          croix et ton sang nous a rachetés ; nous

deprecamur, Deus noster.                                                            t’implorons de nous venir en aide, notre Dieu.

 

 

04 Salvador mundi salva nos, qui per crucem et                    Ô sauveur du monde, sauve-nous, toi qui par ta

sanguinem redemisti nos : auxiliare nobis, te                          croix et ton sang nous a rachetés ; nous

deprecamur, Deus noster.                                                           t’implorons de nous venir en aide, notre Dieu.

 

 

05 Gaude gloriosa Dei mater, Virgo Maria vere                     Réjouis-toi, Ô glorieuse Mère de Dieu, Vierge Marie parmi les

honorificanda, quaea Domino in gloria super                          plus dignes de vénération ; qui, glorieuse, est montée au ciel

coelos exaltata adepta es thronum.                                            au ciel grâce au Seigneur, tu as mérité ton trône.

                                                                                                                                                                             

Gaude Virgo Maria, cui angelicae turmae                                 Réjouis-toi, Ô Vierge Marie, dont l’ensemble des anges

dulces in coelis resonant laudes ; iam enim                               chantent mélodieusement les louanges dans les cieux ; car maintenant,

laetaris visione Regis cui omnia serviunt.                                 tu te réjouis à la vue de ce Roi dont toutes les choses rendent service.

 

Gaude con civis in coelis sanctorum, quae                                Réjouis-toi, concitoyenne des saints dans le ciel ;

Christum in utero illaesa portasti : igitur Dei                            qui a porté sans douleur le Christ dans ton sein ; pour cette raison, 

Mater digne appellaris.                                                                  on t’appelle Mère de Dieu.

Gaude flos florum speciosissima, virgo iuris,                           Réjouis-toi, toi la plus belle de toutes les fleurs ;

forma morum, fessi cura, pes labentis, mundi                         ferme pilier de la Loi, modèle de vertu, secours des âmes fatiguées, support

lux, et peccatorum refugium.                                                   de ceux qui s’effondrent, lumière du monde et refuge des pêcheurs.

 

Gaude Virgo Maria, quam dignam laude                                   Réjouis-toi, Ô Vierge Marie, dont l’église célèbre les

celebrat ecclesia, quae Christi doctrinis                                        louanges ; éclairée par la doctrine du Christ,

illustrata te Matrem glorificat.                                                       Elle te rend gloire puisque tu es sa Mère.

 

Gaude Virgo Maria, quae corpore et anima ad                        Rejouis-toi, Ô Vierge Marie, qui, corps et âme, a été élevée

summum provecta es palacium : et, ut,                                     aux plus éminents des célestes parvis ; nous te supplions

auxiliatrix et interventrix pro nobis miserimis                          de nous communiquer ta force et nous plaidons en notre

peccatoribus, supplicamus.                                                          Faveur, nous, pauvres pécheurs.

 

Gaude Maria intercessorum adiutrix et                                  Réjouis-toi, Ô Marie, secours de ceux qui prient ; tu es le

damnandorum salvatrix celebranda.                                        Salut de tous les damnés, tu es des plus dignes à glorifier.

 

Gaude sancta Virgo Maria, cuius prole omnes                         Réjouis-toi, Ô Sainte Vierge Marie ; grâce à ton enfant,

salvamur a perpetuis inferorum suppliciis et a                        nous sommes tous sauvés des supplices éternels de l’enfer,

potestate diabolica liberati.                                                         Et  nous avons été libérés du pouvoir du diable.

 

Gaude Virgo Maria, Christe benedicta mater,                          Réjouis-toi, Ô Vierge Marie, Sainte Mère du Christ, source

vena misericordiae et gratiae : cui supplicamus                       de pitié et de grâce ; nous t’implorons d’écouter notre

ut nobis pie clamantibus attendas, itaque tuo                         plainte respectueuse, de façon à ce que nous puissions

in nome mereamur adesse caelorum regnum. Amen.          mériter, en ton nom, d’aller au royaume des cieux. Amen.

 

 

06 Miserere nostri Domine.                                                      Ô Seigneur, ais pitié de nous.

 

 

07 Loquebantur variis linguis apostoli, Alleluia.                   Les apôtres parlaient en diverses langues, alléluia.

Magnalia Dei, Alleluia.                                                          Des grandes œuvres de Dieu, alléluia.

Repleti sunt omnes Spiritu Sancto, et ceperunt loqui            Ils étaient tous pénétrés du Saint Esprit, et ils commençèrent à parler               

Magnalia Dei, Alleluia.                                                           Des grandes œuvres de Dieu, alléluia.

Gloria Patri et Filio, et Spiritui Sancto.                                  Gloira au Père et au Fils, et au Saint Esprit.

Alleluia.                                                                                Alleluia.