2001, l’odyssée de l’espace – Stanley Kubrick (1968)

2001, l’odyssée de l’espace (1968) : 20/20

Pour moi le meilleur film de Kubrick, le meilleur film de science fiction et tout simplement le meilleur film du monde. En tout cas à titre personnel, celui qui m’a le plus marqué, qui m’a fait considérer Stanley Kubrick comme un génie, un maître du même niveau qu’un Eisenstein, Welles ou Fritz Lang. Stanley Kubrick que certains considèrent comme un perfectionniste, a réalisé la perfection même cinématographique.

Kubrick réalise un film de science fiction le plus réaliste possible avec les précieux conseils de la Nasa : il n’y a par exemple pas de son dans l’espace. A la différence des Star Wars, on n’entend que le bruit de la respiration des astronautes dans leurs combinaisons lors de leurs sorties spatiales. Séquence exceptionnelle du pod qui se retourne sans un bruit tandis qu’on entend la respiration de Frank dans sa combinaison, puis zoom en trois plans sur le pod qui fonce sur sa proie avec l’œil de Hal en point central et tout d’un coup, plus aucun bruit, seulement un corps qui se perd dans l’immensité de l’espace. Un meurtre glaçant sans le moindre fond sonore, sans musique dramatique est une idée de génie. Sorti un an avant le premier pas de l’homme sur la Lune, Kubrick nous montre un vaisseau rejoignant une station spatiale en forme de roue, un alunissage d’un vaisseau sur une base lunaire, un déplacement vers le cratère Tyco puis le voyage vers Jupiter. Avec la station mir puis la station iss actuellement, Kubrick et la Nasa a vu juste sur l’avenir proche (en l’occurrence en 2001 pour le film). Mais il n’y a pas seulement ceci. La communication du docteur Floyd en visio avec sa fille est parfaitement actuel, les tablettes permettant de voir les retransmissions sur Discovery 1 pendant que les astronautes mangent sont proches de celles que nous avons aujourd’hui, la salle des serveurs contenant la mémoire de Hal est quasi identique à celles d’aujourd’hui et l’intelligence artificielle HAL est proche de ce que l’on pourrait atteindre. Le film se construit en quatre parties, la première il y a quatre millions d’années, la deuxième en 2001 avec la découverte du monolithe noir sur la Lune, la troisième le voyage de Discovery jusqu’à Jupiter et la dernière le voyage spatio-temporelle de Dave vers son destin. Toutes les parties sont reliées par le monolithe noir. Le génie de Kubrick est de ne donner aucune explication au spectateur lui laissant faire sa propre interprétation du film : intelligence extra-terrestre, métaphore divine ?

La première partie dans le désert plante le décor avec les premiers hommes dans des contrées inhospitalières. Kubrick prend le temps de filmer les paysages, les conditions de vie des hominidés, leur difficulté puis la venue du monolithe noir, guide qui leur procure l’intelligence et le pouvoir de se servir des outils. Kubrick nous offre la plus belle ellipse de l’histoire du cinéma avec l’os lancé dans le ciel par un hominidé, qui se transforme en vaisseau spatial, des millions d’années plus tard. Suit la deuxième partie avec le ballet des vaisseaux en orbite autour de la Terre sur le Beau Danube Bleu de Johann Strauss. L’utilisation de la musique par Kubrick, grand connaisseur par ailleurs, est parfaite. Que ce soit sur la première partie avec Ainsi parlait Zarathoustra puis la dernière partie avec la musique de Ligeti, il accompagne ce voyage dans l’histoire de l’homme et l’espace avec les musiques les plus judicieuses.

Lorsque la musique du Danube Bleu s’arrête lors de l’arrivée du vaisseau dans la station internationale, une porte s’ouvre, une hôtesse annonce l’arrivée 25 minutes après le début du film, qui n’avait aucun dialogue jusque là. Les discussions entre le savant américain et ses confrères russes rappellent au bon souvenir du docteur Folamour et de la situation de la guerre froide malgré la façade polie des conversations. La partie sur la Lune est une prouesse technique incroyable, l’approche du vaisseau se posant sur la base lunaire avec des astronautes travaillant en premier plan sur le sol lunaire est un plan magnifique. La descente du vaisseau dans le sol lunaire avec des salles immenses entourant la zone d’aterrissage avec plein d’écrans de contrôle est impressionnante. Sachant qu’à l’époque il n’y avait pas les effets spéciaux informatiques d’aujourd’hui pour faire les inserts. Le survol de la Lune est ultra réaliste et de ce fait parfaitement crédible.

Le voyage vers Jupiter est une confrontation entre HAL, l’intelligence artificielle et les deux astronautes de la mission. Les premiers plans travellings de Frank en train de faire du sport sont incroyables, vertigineux. Les contre plongées montrent l’inclinaison de la roue et les mouvements de la caméra sont parfaits. La representativité de HAL avec son œil rouge est une idée brillante, il est plutôt discret sur les plans larges et menaçant sur les gros plans. L’œil de HAL est l’œil du spectateur, vue subjective quand Dave montre ses dessins, mais également quand les deux astronautes parlent dans le pod, se croyant à l’abri de toute écoute. Seulement l’œil de HAL, notre œil lit sur les lèvres. HAL est un personnage à part entière bien sûr, on lui permet d’être intelligent et de ne faire aucune erreur, mais par contre de ne pas avoir de sentiments. C’est dans ce sens, peut-être qu’HAL veut faire échouer la mission. Lui seul connaît le véritable but de la mission au départ de l’expédition. Son intelligence lui permet de répondre à n’importe quelle question, mais ce monolithe noir qui envoie un signal vers Jupiter, cela le dépasse. En effet HAL connaît l’humain, le cotoie, et de ce fait connaît sa propre origine. Le monolithe noir pour lui reste un mystère total. Est-ce pour HAL la peur d’aller vers l’inconnu, d’affronter cette intelligence que personne n’arrive à sonder ? Ou est ce que l’affrontement avec Frank et Dave n’est pour lui qu’une partie d’échec, qui de la machine ou de l’homme sera le plus à même de remplir cette mission ? Comme souvent dans les films de Kubrick, HAL apparaît machiavélique, menaçant mais lorsque Dave le débranche et lui fait perdre progressivement sa mémoire, sa mort est plus que touchante.

La dernière partie très psychédélique est un voyage visuel et sonore parfaitement réussi, vertigineux là encore. L’arrivée dans la chambre style 18ème siècle est troublant, ces sauts dans le temps où Bowman se voit vieillir jusqu’à renaître en œuf astral. Le film ne donne aucune explication et cela peut dérouter le spectateur mais le livre d’Arthur C. Clarke éclaire un peu sur ce final. L’œuf astral retourne sur Terre pour donner un message d’espoir aux hommes qui sont prêts à s’anéantir avec la guerre Froide. Voila donc un film d’une maturité exceptionnelle, d’une mise en scène absolument parfaite qui a marqué l’histoire du cinéma et pas seulement. Christopher Nolan a quasiment repris la même structure que 2001 pour la réalisation d’Interstellar, superbe film de science-fiction là aussi. 2001 a l’importance d’un Metropolis, film là aussi majeur qui fait partie de l’histoire du 20ème siècle. Le travail, la méticulosité de Kubrick, le fait de se produire, d’avoir le contrôle de son film, est un exemple de cinéma. On peut voir le film tous les dix ans, on trouvera à chaque fois un élément actuel auquel Kubrick a pensé. Quel visionnaire !